
Dans Genève : 1602, chaque lieu, chaque évènement et chaque personnage est inspiré de sources historiques.
Cette volonté de réalisme n’épargne pas même le protagoniste du jeu, qui se faisait appeler le capitaine La Rudesse.
Bernardin Monneret – car c’était son vrai nom – était un espion savoyard qui a joué un rôle majeur dans les préparatifs de l’Escalade. Bien que les archives offrent des informations limitées sur lui, elles révèlent des fragments fascinants qui ont permis de construire son histoire.
Biographie du capitaine La Rudesse
Originaire de Neyrolles, près de Nantua, Bernardin Monneret combat d’abord pour le baron d’Hermance à Thonon, durant la guerre de 1589. Lors de ce conflit, il est capturé avec 46 autres soldats, et mené à Genève pour la première fois.
En 1601, La Rudesse travaille au service du duc de Savoie, ayant refusé un poste dans la garnison de Montréal (près de Nantua), pour rester au service de Son Altesse. À cette époque, il est courant de recruter les espions parmi les soldats : c’est au sein du régiment de la Val-d’Isère que Bernardin Monneret commence sa carrière d’agent secret. Mais ce n’est pas le seul : à ses côtés, les « capitaines » Brunaulieu, David et François.
Plusieurs fois avant l’Escalade, La Rudesse et ses collègues, depuis le fossé, mesurent la courtine de la Corraterie, où les échelles seront placées durant l’attaque, et font du bruit vers l’échauguette la plus proche, afin de déterminer si les sentinelles font leur travail. Quelques mois plus tôt, La Rudesse avait également mesuré la muraille de l’intérieur, en se servant d’une corde attachée à une pierre. Il lui avait suffit de faire descendre la pierre jusqu’à ce qu’elle touche le sol et de couper la corde au bon endroit pour obtenir une mesure précise. Ces mesures permettront la fabrication des échelles qui seront utilisées lors de l’assaut.

L’échauguette, dépourvue de sentinelle, depuis laquelle La Rudesse a mesuré la courtine, et à côté de laquelle les échelles ont été posées la nuit de l’Escalade, mise en évidence sur le plan du front de Plainpalais fait par Louis Blondel en 1952.
En K, la Tour Thellusson.
En X, l’emplacement des échelles.
Le 12 décembre 1602 (ou le 22 – voir mon précédent blogpost à ce sujet), La Rudesse participe directement à la bataille de l’Escalade, aux côtés de Brunaulieu. À la fin des combats, il saute de la muraille pour fuir, se blessant gravement à la jambe.
Quelques années plus tard, Bernardin Monneret fait de la prison pour cause de dettes, mais le tavernier de l’auberge de la Croix-Verte, Louis Deluc, paie sa caution.
Quelques mois plus tard, notre protagoniste retourne à Genève pour mesurer le bastion du Pin. Proche du fossé, il croise deux femmes qui trient du chanvre. Comme il est formellement interdit de se promener dans les fossés, il se fait passer pour un aveugle qui a perdu son chemin.
Mais cette ruse ne fonctionnera plus. Le 27 août 1612, l’espion est surpris en train d’observer les récentes constructions militaires vers Saint-Antoine. Deux soldats lui ordonnent de les suivre jusqu’au corps de garde, ce qu’il refuse. Il tente de les soudoyer avec de l’alcool, en vain.
Peu après, il est interrogé pour ses agissements suspects. Il commence par nier, mais l’estrapade le fait vite parler. D’abord, il avoue uniquement avoir espionné avant l’Escalade, car il sait que le traité de Saint-Julien le protège, mais quand il confesse avoir passé les derniers mois à espionner les nouvelles fortifications et la disposition de la garde, il est jugé coupable.
Une semaine plus tard, le 3 septembre 1612, il est exécuté.
Son procès, conservé aux archives, constitue aujourd’hui la principale source d’informations sur sa vie.
Et dans le jeu ?
Si les archives permettent de poser les bases d’un récit crédible, elles laissent aussi des zones d’ombre. Ces lacunes ont donc dû être comblées de manière créative, tout en restant attentif à l’authenticité historique. Voici quelques choix narratifs et interprétations retenus jusqu’ici pour enrichir le personnage et donner du corps au protagoniste :
1. Il a été décidé que Bernardin Monneret serait né en 1571, ce qui lui donnerait 30-31 ans lors de l’Escalade et 40-41 ans au moment de son exécution. Monneret mentionne être soldat depuis 1589, ce qui signifierait qu’il a débuté sa carrière vers l’âge de 18 ans.
2. Il a été déterminé que la date à laquelle il aurait intégré le régiment de la Val-d’Isère serait en 1601. Dans son interrogatoire de 1612, Monneret affirme faire partie du régiment de la Val-d’Isère depuis 10 ans, ce qui correspondrait à 1602. Mais dans une lettre datée du 9 septembre 1601, le duc Charles-Emmanuel explique que d’Albigny, son conseiller, prétend mener à exécution le plan de la prise de Genève au moyen de 4 hommes (sans doute introduits dans la ville). Il va de soi que 3 de ces hommes étaient les capitaines Brunaulieu, David et François, mais pour ce qui est du quatrième, aucun élément ne permettrait d’affirmer que ce soit quelqu’un d’autre que le capitaine La Rudesse. De plus, ceci expliquerait plus facilement la raison de son refus pour un poste dans la garnison de Montréal en 1601. L’histoire du jeu débute donc à cette période.
3. Pour agir discrètement à Genève, La Rudesse aurait vraisemblablement adopté une fausse identité. Le jeu imagine donc qu’il se fait passer pour un réfugié protestant. Genève ayant accueilli de nombreux protestants fuyant les persécutions, cette identité lui aurait permis de s’installer dans la ville sans éveiller de soupçons et d’observer les fortifications, peut-être depuis un logement situé non loin de la Corraterie.

La Rudesse, comme représenté dans Genève : 1602.
Concept art par Marina Silentova et modélisation 3D par Raphaël Schnegg.
Conclusion
Avec Genève : 1602, La Rudesse prend vie à travers un mélange de faits historiques et de reconstitution créative. Ce travail rigoureux permet d’offrir une immersion authentique dans une époque fascinante, tout en rendant hommage aux mystères qui entourent des figures comme Bernardin Monneret.
Ainsi, le jeu ne se limite pas à raconter une histoire : il invite à explorer les subtilités de l’espionnage, des conflits politiques et de la vie quotidienne à l’aube du XVIIe siècle.